Baccalauréat en Haïti : entre exaltation et vertige d’un système à bout de souffle
- JOBSON CHERIZARD

- Jul 16
- 4 min read

Cette semaine, sur fond d’insécurité et de crise généralisée, plus de 109 000 élèves haïtiens franchissent un cap symbolique : celui des examens officiels du baccalauréat. Une échéance nationale à la fois attendue, redoutée et investie d’un poids immense, comme si, à travers chaque copie rendue, c’était l’espoir d’un pays tout entier qui cherchait à survivre.
Selon le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), 109 712 candidats sont appelés à plancher cette année sur les épreuves sanctionnant la fin des études secondaires. Derrière ces chiffres, se dessine une scène à la fois familière et poignante : des bacheliers, dossier sous le bras, cœur battant, regard tourné vers l’avenir. Dans une Haïti secouée par les rafales de la violence, paralysée par l’effondrement progressif de ses institutions, l’événement conserve une charge presque sacrée. Car ici, le bac ne se résume pas à un simple examen. Il est promesse. Défi. Sursaut.
Un rite, une mémoire, une tension nationale
Le baccalauréat haïtien, au-delà de ses aspects académiques, incarne un véritable rite de passage. Il marque le basculement entre deux mondes : celui de l’enfance encadrée et celui des responsabilités incertaines. Chaque année, il convoque les mêmes scènes : veillées d’angoisse, prières en famille, cris de joie ou de douleur à la publication des résultats. Dans l’imaginaire collectif, ce moment est chargé d’une intensité presque mythologique. C’est là que se joue souvent, croit-on, la possibilité d’un avenir meilleur.
« Le bac est l’étape la plus cruciale que j’ai franchie », confie Similien Anderson, cadre dans l’administration publique. « Il m’a ouvert des portes. Il m’a façonné. » Pour lui, comme pour des générations de jeunes haïtiens, ce diplôme reste synonyme de dignité, de mérite, d’émancipation. Une récompense âprement convoitée dans un pays où l’accès à l’éducation demeure un privilège fragile.
Un mythe fissuré
Mais derrière cette ferveur presque religieuse, une question lancinante : le baccalauréat, dans sa forme actuelle, est-il encore à la hauteur des espérances qu’il suscite ? Nombreux sont ceux qui doutent. Pour Polynice Janel, maçon de profession, le bac ne garantit rien. « Ici, il te faut plus que ça. Des études supérieures, un réseau, un parrain. Le diplôme seul ne suffit pas. » Une remarque qui résonne comme une sentence : l’école, en Haïti, ne protège plus de la précarité.
En réalité, le baccalauréat agit souvent comme un miroir brisé du système éducatif haïtien. Un système fondé sur la mémorisation, la compétition, l’élitisme, mais rarement sur la créativité, la curiosité ou l’adaptation au réel. Trop d’élèves, issus des milieux populaires, échouent dans ce labyrinthe d’exigences mal pensées. Trop peu accèdent ensuite à une université publique ou privée, trop éloignée, trop chère ou tout simplement inexistante.
Samuel Médard, étudiant en sciences sociales, livre un constat amer : « Tous les ans, des milliers de jeunes passent le bac, mais pour quoi ? On a fait de l’université une chose inaccessible. Il n’y a pas de passerelles. Pas d’écoles de métiers compétentes. Pas d’alternatives. C’est un système clos. »
Une histoire longue… et sélective
Pour comprendre ce paradoxe, un détour par l’histoire s’impose. Hérité du modèle napoléonien, le baccalauréat a vu le jour en 1808, comme un examen oral exclusivement masculin, centré sur les lettres classiques et la philosophie. En Haïti, il est introduit en 1907 sous la présidence de Nord Alexis, grâce à l’éducateur Thrasybule Laleau. Longtemps réservé à une élite, il s’est progressivement démocratisé… sans jamais rompre avec son exigence sélective. Aujourd’hui encore, les taux de réussite oscillent autour de 30 à 40 %, révélant les limites d’un système qui trie plus qu’il n’instruit.
Une épreuve… ou une impasse ?
Le bac haïtien est à la fois une épreuve nationale et un révélateur social. Il incarne l’excellence rêvée, mais cache une profonde désillusion. Pour beaucoup, c' est le dernier tremplin avant le vide. Car, que faire d’un diplôme quand il n’existe ni marché de l’emploi structuré, ni politique éducative post-bac ambitieuse, ni orientation professionnelle adaptée ? Le paradoxe est cruel : le baccalauréat, censé ouvrir les portes du savoir, devient souvent un aboutissement stérile.
L’urgence d’une refondation
Face à ces constats, il ne s’agit pas de jeter l’épreuve aux oubliettes, mais de repenser radicalement sa place. Dans un pays où certains élèves doivent braver les zones de guerre pour atteindre leur salle de classe, où les écoles manquent de tout — cantine, bibliothèque, toit même —, maintenir une telle évaluation sans en réformer les fondements relève de l’absurde.
Ce que réclame ce moment, c’est un sursaut de lucidité. Il faut sortir d’une logique purement certificative où les bacheliers cherchent -coûte que coûte- à s'en passer soit par des efforts ardus ou des gruges, pour entrer dans une vision globale de l’éducation : inclusive, technique, citoyenne, humaine. Faire du bac non plus un couperet, mais un tremplin. Articuler cette étape à des politiques d’accompagnement, de formation continue, d’alphabétisation critique, d’insertion professionnelle.
Une jeunesse méritante, un pays en attente
En cette mi-juillet, alors que 109 712 jeunes affrontent les épreuves du baccalauréat dans l’espoir d’un avenir meilleur, l’heure est au respect. Au-delà des chiffres, ces candidats incarnent une volonté de se hisser, malgré tout. Une obstination admirable face à l’adversité. Mais leur mérite, pour être fécond, doit trouver écho. Il appelle une réforme profonde, un projet d’éducation qui ne trahisse plus la promesse du savoir.
Car le savoir, en Haïti, est plus qu’une compétence. Il est acte de foi. Geste de résistance. Pari sur demain.








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