Haïti, quatre ans après : l’assassinat de Jovenel Moïse, une énigme judiciaire et politique
- JOBSON CHERIZARD

- Jul 7
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Quatre ans après l’assassinat brutal de Jovenel Moïse, la justice haïtienne piétine et les commanditaires de ce crime d’État demeurent tapis dans l’ombre. Entre procès bloqués, violence endémique et enquêtes éclatées entre Port-au-Prince et Miami, Haïti vit encore sous le poids d’une nuit qui a bouleversé son histoire contemporaine.
Port-au-Prince, 7 juillet 2025 — Il était aux environs d’une heure du matin lorsque, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, un commando armé fit irruption dans la résidence privée du président Jovenel Moïse, à Pèlerin 5, dans les hauteurs de Pétion-Ville. Âgé de 53 ans, le chef de l’État haïtien fut abattu de plusieurs balles, dans une violence froide et méthodique. Son épouse, Martine Moïse, grièvement blessée, survécut de justesse à cette attaque qui fit basculer le pays dans l’inconnu.
Depuis, l’assassinat reste enveloppé de mystères, d’ambiguïtés et d’une enquête paralysée, miroir impitoyable de la fragilité institutionnelle d’Haïti et du naufrage de son appareil judiciaire.
Une enquête morcelée, sous menace permanente Dès les premiers jours, l’enquête a pris des allures de labyrinthe. L’appareil judiciaire haïtien, confronté à une affaire d’une ampleur inédite, peine à établir les responsabilités réelles et les motivations profondes derrière ce crime d’État. Plus d’une cinquantaine de personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles 17 anciens militaires colombiens et plusieurs figures de l’appareil étatique.
Mais la vérité, elle, continue de se dérober. Les magistrats en charge du dossier ont été successivement menacés, intimidés, parfois contraints à la clandestinité. Pas moins de six juges d’instruction se sont succédé, incapables de mener à terme un dossier devenu explosif dans un climat où l’insécurité et les pressions politiques dictent la cadence.
Procès à Miami : des coupables sans commanditaires
Face à l’impasse haïtienne, les autorités américaines ont ouvert leur propre procédure, plusieurs suspects étant des citoyens ou résidents des États-Unis. Onze accusés ont été extradés à Miami, et cinq d’entre eux ont déjà plaidé coupable devant la justice fédérale, parmi lesquels James Solages, Christian Emmanuel Sanon et Joseph Vincent, qui ont reconnu leur implication dans le complot meurtrier.
Le procès des autres accusés devrait s’ouvrir en mars 2026. Mais, malgré ces aveux et condamnations, l’essentiel reste hors de portée : qui a commandité et financé l’opération ? À ce jour, aucune preuve publique n’identifie les véritables donneurs d’ordre. Le procès américain, s’il avance, ne juge que les exécutants, laissant dans l’ombre les cerveaux du complot.
Des proches de l'ex président dans les viseurs
L’affaire a connu un nouveau rebondissement en février 2024. Le juge Walther Wesser Voltaire a décidé de mettre en examen Martine Moïse, veuve du président, pour complicité d’assassinat et association de malfaiteurs. L’ex-premier ministre Claude Joseph et l’ancien directeur général de la Police Nationale, Léon Charles, ont eux aussi été inculpés.
Claude Joseph rejette avec vigueur toute implication et plaide pour que l’enquête suive la piste des financements et des ramifications internationales. “ Tant que l’argent ayant servi à organiser ce crime n’est pas tracé, la vérité restera ensevelie ”, a-t-il martelé récemment. De son côté, Martine Moïse continue de clamer son innocence et se dit disposée à témoigner — à condition toutefois que cela se fasse devant le tribunal fédéral de Miami ou via visioconférence.
En ce 7 juillet 2025, Haïti demeure hantée par cette nuit sanglante. Le pays, livré aux violences de gangs qui contrôlent des quartiers entiers de la capitale, patauge dans une crise politique, sociale et économique sans précédent. Gouvernée par un pouvoir de transition contesté, la République n’a toujours pas pansé cette plaie béante.
La mort de Jovenel Moïse n’a pas seulement ôté la vie à un président en exercice. Elle a précipité Haïti dans une spirale de chaos, d’incertitude et de défiance où les institutions chancellent et où les crimes politiques se perdent dans l’impunité.
Quatre ans plus tard, ni la justice haïtienne ni la communauté internationale n’ont réussi à dévoiler l’intégralité de la vérité. Ce crime d’État demeure une énigme, et son ombre plane encore sur une nation en quête de justice, de souveraineté et de rédemption.








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